Avec un cœur ouvert et une volonté d' aimer...
On dit que rien ne peut vraiment nous préparer à faire face à la mort.
Je me souviens quand j'étais enfant, ma grand-mère me donnait une prière à lire le soir avant le coucher. C'était toujours la même prière:
« Aidez-moi Seigneur à bien vivre et surtout à bien mourir car je sais que je vais mourir un jour. Je n`ai peut-être que peu de moments à vivre, je ne sortirai peut-être pas du lit où je m`endormirai ce soir ….».
Nuit après nuit, je me promettais de ne pas mourir ... tout simplement parce que je ne dormirais pas! Ainsi, je me souviens d`avoir passé de nombreuses heures à me soucier de ma sécurité et de celle de ma famille.
Tout au long de mon enfance, j'étais terrifiée par la mort et cette peur m'a suivi pendant presque toute ma vie d`adulte.
La vie est pourtant étrange et quand j'ai postulé pour un emploi en psychologie à l'Hôpital de Moncton, on m'a offert un travail en oncologie. Comme plusieurs membres de ma famille avaient souffert d'un cancer, je savais trop bien quel était souvent le résultat de cette terrible maladie.
Malgré mes études et de mes expériences de vie, je ne me sentais pas prête ou compétente pour la tâche qui m'attendait, mais c`est pourtant pleine de bonne volonté que j`ai accepté le défi qui m était offert.
Je me souviens très bien de la première fois où je l'ai rencontré.
L`oncologue m`avait demandé de le visiter après qu`il eu reçu un diagnostic de cancer en phase terminale. Il était dans la jeune soixantaine, très sympathique et, ce jour-là, étonnamment très calme.
Il m`a décrit sa maladie. Il m`a parlé de sa famille, de sa femme, ses enfants, ses petits-enfants et il était évident, dès le début, que sa famille était tout pour lui. Il savait que son espérance de vie allait être très limitée et s`attristait de la douleur et de la souffrance que sa mort allait certainement causer à ceux qu'il aimait tant.
Sa femme, qui était également présente lors de cette première rencontre, semblait plus désemparée que lui. Elle disait qu'il avait «renoncé à se battre, renoncé à vivre», puisque quelques jours seulement après son diagnostic il avait commencé à distribuer certains de ses effets personnels. Son mari était pourtant très lucide: «Je préfère le faire maintenant, alors que je me sens encore assez bien!"
Au cours des mois qui ont suivi, je l'ai rencontré plusieurs fois alors qu`il était hospitalisé et aussi à la clinique d'oncologie quand il venait pour ses traitements de chimiothérapie.
Un jour, j'ai reçu un message téléphonique me disant qu'il avait été hospitalisé la veille et qu'il s'était présenté au poste des infirmières très tôt le matin, demandant de me rencontrer. Comme j`avais plusieurs rendez-vous ce jour-là, je n'ai eu le message que beaucoup plus tard dans l'après-midi.
Lorsque je lui ai finalement rendu visite, il m'apprit qu'il avait une décision à prendre. Il avait été très malade au cours des semaines qui avaient suivi ses derniers traitements et, comme ces derniers étaient offerts seulement pour prolonger sa vie (et non pour guérir) il pensait cesser la chimiothérapie et laisser la nature suivre son cours. Cependant, avant de prendre sa décision, il voulait savoir ce que j`en pensais.
J`'ai réussi à garder mon calme.
Son prochain traitement était prévu dans un peu moins de deux semaines. Je lui ai alors conseillé de mettre cette décision de côté pour le moment et d`attendre d`en parler avec son oncologue qu`il devait rencontrer la semaine suivante. Ainsi, il pourrait discuter de la possibilité de réduire la dose de chimiothérapie et peut-être, de cette façon, réduire considérablement les effets secondaires.
Quand je l`ai quitté ce jour-là, il m`a assuré qu' il se sentait mieux.
Cependant, c`était loin d`être mon cas. J` étais tout simplement bouleversée.
Qui étais-je pour faire partie d'un processus décisionnel à propos de la vie et de la mort? Je n'étais qu'un être humain, essayant seulement de faire de son mieux et je n'avais certainement pas toutes les réponses. De retour à mon bureau, je me souviens de m`être sentie tellement triste pour lui, tellement impuissante aussi….
Je me souviens surtout d`avoir pensé qu'il méritait mieux que ce que je pouvais lui offrir!
Le lendemain, la dernière chose que je voulais faire était de lui rendre visite! J'avais peur de ses questions. J'avais peur surtout de pas avoir les réponses ...
Mais j`y suis allé tout de même! Et je l'ai visité à nouveau le lendemain avant son retour à la maison.
Au cours des mois qui ont suivi, sa maladie a continué de progresser et il a été hospitalisé de nombreuses fois. Quand son oncologue a décidé qu'il n'y avait plus rien à faire, lorsque les traitements ont cessé, alors qu`il attendait la mort, je savais que je ne pouvais pas et je ne voulais pas l'abandonner.
Cela n'a pas toujours été facile, mais je l'ai visité autant que je le pouvais. Il me racontait sa vie, ses réalisations, ses regrets, me parlait de ce qui le rendait heureux, ce qui le rendait triste, de ce qu'il espérait pour ses derniers jours, de sa foi, de la vie après la mort....
Sa principale préoccupation était pour sa famille et son plus grand souhait était qu'ils soient bien, physiquement et émotionnellement, après son départ. Je le revois, couché dans son lit, faible, amaigri, intubé, essayant de prévoir les problèmes que sa famille pourrait rencontrer et, à partir de son lit d'hôpital, de trouver des solutions.
À sa demande, j'ai rencontré sa femme et sa fille à plusieurs reprises.
Un jour, alors que j`étais entré dans sa chambre à la recherche de sa femme, je l'ai trouvé très somnolent. Avant mon départ, il m`a tenu la main et m`a dit «Merci».
Je savais qu'il était heureux de l`aide que j`offrais à sa femme, celle qui avait été à ses cotés pendant plus de 35 ans. Puis il ajouta: «Je voudrais te parler plus tard, quand tu auras le temps" et il a été convenu que je reviendrais dans l'après-midi.
Cependant, quand j`y suis retourné, il dormait et je n'ai pas voulu le réveiller. J'ai dit à sa femme, qui était à son chevet, que je serais de retour le lendemain matin.
Encore une fois, le lendemain, je l'ai trouvé endormi.
Cet après-midi-là, lorsque je suis retournée à sa chambre, j`ai vu toute sa famille réunie dans le couloir en face de sa porte. J`ai compris, à ce moment-là, qu `il venait de nous quitter. Sa femme m'a conduit près de lui et, comme je l'avais fait plusieurs fois auparavant, j'ai tenu sa main. J'ai alors dit adieu à une personne spéciale, à quelqu'un que j`avais appris à aimer et à respecter au cours de la dernière année.
Je suis retournée à mon bureau, en essayant bien inutilement de cacher mes larmes et, lorsque j`ai fermé la porte derrière moi, elles coulaient déjà abondamment.
Je me sentais triste et tellement coupable de ne pas l`avoir réveillé!
A travers mes larmes, je répétais encore et encore que j'étais désolé! Il avait quelque chose à me dire et maintenant je ne saurais jamais de quoi il s`agissait. Je me souviens d`avoir pensé qu` à la fin de sa vie, malgré toutes mes promesses, je l'avais pourtant abandonné!
Tout d'un coup, un sentiment de paix m'envahit et les larmes ont cessé brusquement.
J`ai senti sa présence comme s`il avait été là, à mes cotés, et j`ai compris qu'il était venu me consoler comme je l'avais fait pour lui tant de fois au cours de la dernière année de sa vie.
Au cours de notre vie, nous avons tous des leçons à apprendre et des peurs à conquérir. Grâce à lui, ainsi qu` aux autres patients/patientes que j'ai eu le privilège de rencontrer au cours des six dernières années, je n`ai plus peur de la mort.
J`ai appris qu' il n`est pas nécessaire d'avoir toutes les réponses. Par notre notre présence, notre écoute, notre compassion, nous pouvons faire une réelle différence dans leur vie, à un moment où ils en ont le plus besoin.
J'ai appris qu`il est bien d`aimer, qu`il est bien de pleurer avec eux et pour eux.
J'ai appris que la main que je tiens dans la mienne me guide aussi puisque nous marchons ensemble vers la même destination.
À travers cette expérience inestimable, j'ai surtout appris que rien ne peut nous préparer à faire face à la mort ... sauf un cœur ouvert et une volonté d'aimer.
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